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Ninon MADORE

Vestiges 

Lors du premier confinement, j’ai commencé à peindre une série d’objets (dentifrice, déodorant, fourchette, ciseaux, trousse...) de mon environnement, dans l’idée que, puisque nous étions enfermés et que nous ne pouvions pas sortir de chez nous, autant profiter et produire avec ce que j’avais autour de moi, c’est-à-dire du papier, de la peinture et des objets que j’utilise au quotidien. Sur un papier blanc, j’ai donc peint au fur et à mesure, en centrant sur le côté gauche (pour possiblement laisser une place à du texte à droite), divers objets que j’utilise personnellement mais qui sont pourtant issus de la grande consommation, tant ils sont fabriqués en série. En d’autres termes, bien que ces objets puissent avoir une certaine valeur affective, ils restent connus de tous et chacun peut les obtenir. Néanmoins, ces peintures d’objets représentent un inventaire d’objets essentiels pour moi, notamment en cette période de confinement, et d’une certaine façon ils constituent un portrait de mon quotidien, puisqu’ils permettent de reconstituer ma journée et mes activités au cours de celle-ci, comme le ferait un calendrier.

Par la suite, le passage au volume m’a semblé être une bonne continuité, c’est pourquoi j’ai récupéré une partie des objets que j’avais peints en sélectionnant essentiellement ceux utilisés dans la cuisine et la salle de bain et qui servent de contenant. En d’autres termes, ce sont des objets qui contiennent la plupart du temps un liquide et qui sont en plastique donc jetés lorsqu’ils sont vides et inutiles. Je les ai donc moulés avec du papier mâché (papier journal, eau et farine), comme une coque de la moitié de cet objet. Après avoir obtenu ces demi-objets/moulages, je les ai pris en photo sur un fond entièrement blanc, épuré pour ne garder que la forme sous différentes positions : les objets sont la plupart du temps pris debout, comme dressés, soit de face, soit de dos (permettant de voir le creux), soit encore de profil (permettant de voir la moitié de l’objet). Ces photos rappellent des photographies de magazines ou plus précisément des photographies publicitaires où il est important de mettre l’objet en valeur. Finalement, l’objet prend de l’ampleur et devient presque ici une architecture (en ruine).

Comme des animaux, des bâtiments ou des objets, il ne reste de ces objets consommables, que l’on vide puis que l’on jette, que ces formes rappelant des carcasses/des os, des ruines ou des objets anciens/des reliques. Ce sont d’une certaine façon les seules traces, les vestiges de ces objets qui ont été dans mon quotidien, dans mon chez moi, qui m’ont servis à un certain moment de ma vie mais qui maintenant sont partis à la poubelle et sont très vite oubliés. En fait, ces objets ont la même utilité que le papier journal qui a servi à les faire et de façon plus général l’écrit dont ils sont parés : ils permettent de se souvenir. Se souvenir de leur utilisation dans la maison, dans le quotidien, comme écrire pour se souvenir des moments passés ou des grands évènements mais aussi, sur ce genre d’objets, pour faire passer un slogan, un message ou l’appartenance à une marque. Paradoxalement, les objets en papier journal sont assez légers et éphémères et se sont pourtant eux qui restent et qui sont gardés comme des sculptures, des reliques, des souvenirs, alors que les objets initiaux en plastique donc plus résistants sont jetés et oubliés. D’un autre côté, les objets de base sont au départ pleins et remplis mais deviennent ensuite des moitiés creuses, vides et inutilisables comme vidés de leur contenant et de leur utilité première. Finalement, sur les photographies finales, les « objets fantômes » semblent être de simples apparitions qui se détachent à peine du fond entièrement blanc. Ils ne sont presque visibles que grâce aux écritures du papier journal qui se détachent, puisque même leurs ombres semblent avoir disparu. Ce ne sont plus que des fantômes, des souvenirs de ces objets de consommation du quotidien.